Héros de la Première Guerre mondiale, le soldat de 2ème classe, Albert Roche est décoré de la Croix de la Légion d'honneur et présenté comme le premier soldat de France par le général Ferdinand Foch.
Novembre 1918 : la guerre, enfin, est terminée. Oubliées les craintes, les souffrances et les restrictions, terminé le régime allemand ; après 47 ans, l'Alsace redevient française. Le cœur est à la fête et ils sont des milliers à défiler dans les rues de Strasbourg, à chanter La Marseillaise et à acclamer le général Foch au pied de l'hôtel de ville.
Coiffé de son képi, le général apparaît au balcon de l’hôtel de ville, ce 27 novembre 1918. La foule en délire scande son nom : « Foch ! Foch ! Vive Foch ! » Le général salue la foule, retourne à l'intérieur, puis revient en compagnie d'un modeste soldat de deuxième classe.
Albert ROCHE et le Général Ferdinand FOCH à Strasbourg, le 27 novembre 1918 - Albert ROCHE, Légion d’honneur, Médaille militaire, Croix de guerre avec douze citations (photos D.R.)
Mais qui est ce jeune homme ? Qu'a-t-il fait pour mériter tant d'honneur, et ce titre enviable de «premier soldat de France»?
L’Armée ne veut pas d'Albert Roche
Né le 5 mars 1895 à Réauville, dans l'arrondissement de Montélimar, Albert Séverin Roche est issu d'une famille nombreuse de cultivateurs. En 1913, il a 18 ans lorsqu'il se présente au conseil de révision. Mais la déception est à la hauteur de la réponse : jugé trop chétif, il est refusé.
À la déclaration de la guerre, en août 1914, il décide toutefois de s'engager. Malgré le refus de son père, qui préfère l'avoir à ses côtés pour les travaux des champs. Mais le jeune homme veut servir son pays et « faire la guerre » aux Boches. Il quitte donc le village de nuit, direction le camp d'Alban : là, parait-il, ils acceptent les volontaires. De fait, on l'accepte. Mais seconde déception : mal aimé et mal noté, le jeune homme ne connaît de la guerre que les quatre murs du camp d'instruction. Roche enrage. Il se sauve. On le rattrape et c'est la prison. Rien ne laisse alors présager l'avenir militaire radieux qu'on lui connaît à l'issue de la guerre.
Albert Roche, le chasseur aux 9 blessures et aux 1180 prisonniers
En prison, le « déserteur » réclame sa mutation au front. Finalement, n'est-ce pas le sort réservé aux mauvais soldats : les envoyer au front se faire tuer ? L'officier accepte et Roche obtient enfin ce qu’il voulait, en octobre 1914, il est affecté au 30ème bataillon de Chasseurs à pied, puis, en juillet 1915, il rejoint le 27e bataillon engagé sur l'Aisne. Là, Roche va faire la guerre à sa manière.
Envoyé dans le camp ennemi avec deux camarades pour détruire un nid de mitrailleuses, le jeune Roche laisse tomber une poignée de grenades dans le tuyau de cheminée du poêle avec lequel les Allemands se chauffent. L'explosion fait plusieurs morts, et les blessés se rendent facilement, croyant être attaqués par un bataillon entier. Roche revient avec huit prisonniers et les mitrailleuses allemandes. Un acte audacieux qui impose vite le respect au sein du bataillon : Roche n'est plus le « mal-aimé ».
À lui tout seul, Roche défend une tranchée de Sudel, en Alsace : toute sa section a été fauchée, tous ses camarades sont morts. Il met alors en batterie leurs « Lebels » sur toute la ligne en passant d'un fusil à l'autre ; il charge, tire, recharge, tire encore. La ruse réussit, les Allemands imaginant la tranchée solidement tenue, ils se replient.
Quelques mois plus tard, un nouvel acte de bravoure et d'audace : capturé avec son lieutenant blessé, Albert Roche saute sur l'officier qui l'interroge, le braque avec son propre revolver et tient en joue les autres gardiens allemands. Ce jour-là, il revient avec son lieutenant sur le dos, Albert Roche a fait 42 prisonniers.
À coups de feu, d'audace et de bluff, « celui-dont-on-ne-voulait-pas » aura fait quelques 1180 prisonniers durant la Grande Guerre.
Albert Roche envoyé au peloton d'exécution pour abandon de poste
Au Chemin des Dames, le capitaine du bataillon est grièvement blessé entre les lignes. N'écoutant que son courage, Roche vole à son secours et rampe près de six heures pour le retrouver, et quatre heures encore pour le ramener. Il le confie aux brancardiers : le capitaine a perdu connaissance, et Roche, épuisé, s'endort dans un trou de guetteur.
Réveillé par une patrouille commandée par un lieutenant français, il est immédiatement arrêté pour « abandon de poste : exécution dans les 24 heures ». Roche ne peut s'expliquer, il n'a aucun témoin, et en période de mutineries les procès vont vite, trop vite. Conduit dans une tranchée pour y être fusillé, une estafette envoyée par le capitaine sauvé, qui est sorti du coma, vient au secours du valeureux soldat. De plus, son capitaine le propose pour la Médaille militaire.
De là, la légende d'Albert Roche est née et fait le tour de France.
Albert Roche, un combattant décoré
Au cours des combats, Albert Roche est blessé à neuf reprises. À chaque fois, il refuse d’être envoyé à l’arrière pour y être soigné. Un jour il s’opère lui-même pour s’extraire une balle.
Chevalier puis Officier de la Légion d’honneur, Médaille militaire, Croix de guerre avec douze citations dont quatre à l’ordre de l’Armée, Croix du combattant volontaire, Albert Roche finit la guerre couvert de décorations.
Albert Roche avait sa part d’ombre, mais il connut aussi de rares moments dans la lumière. En 1920, il fait partie des onze braves qui désignent le Soldat Inconnu et il est un des huit combattants qui portent le cercueil jusqu’à l’Arc de Triomphe. En 1925, il fait partie aussi de la maigre délégation française invitée à la table du roi Georges V d’Angleterre lors des obsèques du maréchal Lord French.
Albert Roche, un héros oublié
Après la guerre, Albert Roche rentre dans sa région, à Réauville où il épouse une fille de Colonzelle, village voisin du sien et travaille comme cartonnier.
Albert Roche a participé aux cérémonies les plus grandioses, côtoyé les plus grands, accompagné la dépouille du Soldat inconnu à Paris et mangé à la table du roi d'Angleterre.
Il décédera le 15 avril 1939, à l'âge de 44 ans, fauché par une voiture alors qu'il descend du car qui le ramène de la cartonnerie. Comme l'écrit l'historien Pierre Miquel dans La Grande Guerre au jour le jour, aux Éditions Pluriel : « Cet homme avait traversé quatre ans de guerre, il avait été neuf fois blessé, il avait mille fois frôlé la mort, il avait bien failli être injustement fusillé comme mutin. Il avait échappé à tous les dangers, à tous les accidents. Il se fait tuer vingt ans plus tard, en rentrant chez lui, à la descente de l'autocar ».