Allocution de Monsieur Pierre Bur,
Président de l'Amicale des Déportés à Neu-Stassfurt
Compiègne 18 août 2013

Stèle du Dernier Train
Carrefour de Bellicart, forêt de Compiègne
Il y a quelques années, dans un autre lieu, je m’exprimais ainsi :
“Il nous appartient aujourd’hui, comme hier nous le faisions et comme demain nous le ferons, de nous rassembler, dans la dignité, dans l’émotion, dans la plus grande simplicité et surtout dans le souvenir.”
Eh bien vous êtes là en ce jour de célébration, en ce carrefour Bellicart à partir duquel se produisirent tant de drames. Nous sommes là pour nous souvenir de ce dernier convoi parti le 17 août 1944 à destination de Buchenwald.
1250 hommes étaient embarqués dans des conditions épouvantables, comme l’ont été cinquante mille autres pour d’autres camps de la mort, à partir de la gare de Compiègne entre 1942 et 1944.
Qu’y a-t’il de plus émouvant que les retrouvailles de ces compagnons de misère? Qu’y a-t’il de plus émouvant que ce type de rassemblement qui regroupe aussi, des hommes et des femmes tels que vous, officiels, parents et amis, côte à côte, venus leur dire combien vous êtes en pensée avec eux.
Mais… est-ce suffisant? Certes, on se souvient, on communie ensemble au pied de ce monument, certains murmurent peut être une prière pour le repos de l’âme de leurs disparus, et après, que faisons nous?
N’existe t il plus dans le monde des monstruosités similaires à celles que nous dénonçons ici? Est-il suffisant de se rassembler, de se recueillir, une fois l’an, ici ,et une autre fois le jour de la commémoration de la Déportation où on écoute pieusement un propos ministériel qui, entre nous, est plus rituel qu’original? Je n’en suis pas certain.
Ce dernier 8 mai, le Ministre de la Défense disait que cette date marquait la fin du barbarisme.
La fin du barbarisme nazi, oui, mais combien d’autres lui ont succédé?
Le régime soviétique, ne recelait il pas des camps de concentration? Les soviétiques peuple courageux s’il en est, n’étaient ils pas privés de liberté? Les opposants au régime n’étaient ils pas torturés, assassinés? Cela s’est soldé par des dizaines de millions de morts disent les froides statistiques.
La Chine était elle un lieu paradisiaque du temps de Mao?
Le Cambodge de Pol Pot et ses khmers rouges était-il cet endroit de paix que fréquentent les touristes aujourd'hui?
Je pourrais citer les dictatures Sud américaines, la Corée du nord, l'Iran, l’Irak, le Ruanda, l’Afghanistan, le Kosovo, la Libye, la Syrie, tous ces pays dans lesquels il s’est commis, ou il se commet encore, des crimes contre l’humanité plus odieux les uns que les autres.
Aujourd’hui et vous pouvez le constater chaque jour, d’autres dictatures tentent de s’installer et là je parle de l’Afrique et du Moyen Orient. A leur tête, des extrémistes à connotation religieuse. C’est nouveau, mais tout aussi horrible. De purs criminels s’en prennent aux innocents et surtout aux femmes auxquelles ils dénient tout droit. Ils pillent, ils tuent, ils mutilent sans vergogne au nom de leur Dieu et de sa Loi dont ils font une très large interprétation afin de justifier leurs crimes.
Du pur Nazisme. “Plus d’hommes…plus de problèmes” proférait Staline. C’est encore vrai de nos jours.
Qu’ont fait les dirigeants du monde depuis 1945, pour empêcher ces différentes dictatures et systèmes de perdurer ou simplement d’éclore?
Certes, il y a eu la période de la guerre froide. Elle a eu le mérite de contenir, voire de faire échec à maintes initiatives engendrant encore plus de terreur, mais peut on affirmer qu’elle y soit parvenue totalement?
Il y a eu aussi, le combat de ces hommes et de ces femmes de partout qui, courageusement, se sont élevés au risque de leur vie, contre ces régimes. Toutefois, faisons appel à notre mémoire sur ce point. N’y avait il pas, ici et là, y compris dans notre démocratie, des voix qui vantaient ces totalitarismes et qui refusaient de reconnaître leurs crimes? C’était même de véritables déclarations d’amour. “Staline on t’aime d’un amour ardent” s’écriait un leader politique bien de chez nous et pas un des moindres. Il n’était pas une exception, loin s’en faut.
Il faut bien l’admettre, c’est essentiellement le cours de l’histoire et des raisons économiques plus que des raisons humaines, qui ont contribué a l’effondrement de certains régimes. Malheureusement, d’autres, beaucoup d’autres, subsistent toujours.
Pourquoi? Probablement parce que le reste du monde ne se sent pas concerné.
Ici même en France, la majorité “silencieuse et pacifique”, a toujours fermé les yeux et elle continue de les fermer sur certaines horreurs. Faut il rappeler que c’est cette même majorité silencieuse et égoïste qui, ne se sentant pas concernée, a permis l’extension du nazisme à toute l’Europe, par le biais du traité de Munich? Ne le perdons jamais de vue.
Vous connaissez tous, probablement, le pasteur Martin Niemöller, interné successivement à Sachsenhausen et à Dachau qui lui aussi, à une époque, ne se sentait pas concerné:
“Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté car je ne suis pas juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté car je ne suis pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté car je ne suis pas catholique. Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester.”
Nous sommes tous concernés. Luttons, dénonçons autour de nous toute entrave à la liberté si bien définie dans nos lois. J'insiste. Celle dont nous pouvons être fiers. Incitons nos amis, nos élus et nos dirigeants a plus de vigilance. Apprenons l'histoire à cette journaliste qui parlait au journal télévisé du 28 avril de 76000 déportés, en passant sous silence, par ignorance j'ose le croire, les 250000 déportés résistants, politiques et autres otages. Expliquons à tout va, que les dictateurs en tout temps et en tout lieu, se sont toujours appuyés sur une petite partie de leur peuple, généralement la plus fragile, en pratiquant une démagogie sans bornes, pour parvenir à leurs fins. D’un côté ils flattent, de l’autre ils mettent en place des lois partisannes qui leur permettent de bâillonner, d'emprisonner, d'éliminer et d'asseoir ainsi leur démentiel pouvoir. C’était notamment la méthode d'Hitler et de Staline. Ouvrons nos oreilles, décillons nos yeux, décryptons leur propos et faisons leur barrage.
“Le monde est dangereux à vivre disait Einstein, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.”
Faisons en sorte que l’histoire ne se renouvelle pas dans sa facette la plus néfaste. C’est le destin des générations futures que nous avons entre nos mains.
Ne donnons aucune prise à ceux qui veulent les asservir, et comme nous le demandait Stéphane Hessel “APPRENONS A NOUS INDIGNER”.
Pierre BUR
Mesdames et Messieurs, permettez moi de rajouter un mot à mon propos. Je ne veux pas parler de Déportation, mais des Déportés. Non des survivants, mais des Jacques Moignet, Paul Marchal, André Dechaume, Pierre Sauzet, et de tous ceux qui ont laissé leur vie dans les camps.
Un dirigeant politique français, arbore fréquemment au revers de son veston un triangle rouge. A une question qui lui était posée, il a répondu que c’était le triangle rouge que portaient les déportés, d’un certain parti politique, et qu’il leur rendait ainsi hommage. Je l’ai entendu.
Ce monsieur est un imposteur. C'est faux. Je tenais à le dire. Le triangle rouge que nous avons eu l’honneur de porter était celui de tous les déportés politiques. Ce qui englobait non seulement les purs politiques, mais aussi les résistants, les maquisards, les otages et même parfois des droits communs.
. Il est inadmissible qu’on puisse se servir de ce symbole à des fins purement démagogiques et électorales. Celui que nous portions n’avait rien de clinquant comme celui de ce monsieur. Il était rouge de sa couleur certes, mais aussi et surtout de notre sang. Il était souillé, crasseux car nous ne nous lavions pas et que c'était sur lui que machinalement nous écrasions les poux et la vermine qui nous rongeaient.
Il est notre symbole, notre glorieux symbole, il est notre étoile jaune, et nul ne peut se l’approprier. Je tenais à le dire ici solennellement, car il n'a jamais été donné suite à nos protestations.
Je vous remercie.
Pierre BUR