Mars 2010
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Transport parti le 12 mai 1944 de Compiègne
et arrivé le 14 mai 1944 au KL Buchenwald
Effectif recensé : 2 073 hommes
Matricules extrêmes : 49396 à 52400
Situations :
Evadés durant le transport : 6 (0,3 %)
Décédés durant le transport : 14 (0,7 %)
Décédés et disparus en déportation : 789 (38 %)
Rentrés de déportation : 1139 (55 %)
Situations non connues : 125 (6 %)
C’est le neuvième transport qui part de Compiègne vers le KL Buchenwald,
les départs suivant ce trajet ayant cessé depuis les trois convois du mois de
janvier 1944, acheminant au total près de 6 000 détenus
dans ce camp de concentration.
Avec 2 073 déportés, c’est quantitativement le plus important parti de
France vers ce camp de concentration. La recherche sur ce transport est
marquée par l’existence de la seule liste originale de départ de Compiègne
retrouvée, qui peut ainsi être comparée avec la liste originale d’arrivée au KL
Buchenwald pour établir des statistiques exactes, en particulier sur les
évasions et les décès survenus lors du transport.
Selon une procédure administrative « classique », les Allemands
établissent une liste de départ au camp de Compiègne avant l’organisation
d’un transport. Les détenus dont les noms sont notés sur ce document sont
extraits du camp de Royallieu pour être dirigés vers la gare de Compiègne et
embarqués dans des wagons à bestiaux. Celle du transport du 12 mai est en
fait constituée de trois listes alphabétiques accolées, comprenant respectivement
1 402, 242 et 453 noms, prénoms, dates de naissance, et matricules
de Compiègne. L’ajout successif de ces trois listes permet de penser que
l’effectif prévu au départ a été réajusté par les Allemands. Pourtant, si
2 097 noms y sont portés, pour 24 d’entre eux la mention Gestrichen, c’est-à-
dire « rayé », est notée et permet donc de constater qu’au dernier moment les
Allemands décident de ne pas les déporter.
Ainsi, ce sont 2 073 hommes qui partent de Compiègne le 12 mai en
direction du KL Buchenwald. Pourtant, la liste originale d’arrivée, datée du
14 mai, notifie l’immatriculation et le nom de 2 051 déportés. La comparaison,
nom par nom, des deux listes permet d’identifier les 22 personnes
manquantes, ainsi que leur devenir. 8 d’entre elles se sont évadées lors du
transport dans la région de Commercy dans la Meuse : 6 réussissent, alors que
2 sont tuées durant leur tentative. Les 14 autres meurent lors du trajet vers
l’Allemagne, ou à l’arrivée du transport. C’est le cas en particulier d’un père et
de son fils, fusillés par un SS à la descente du wagon.
Au moins 350 des 2 051 déportés arrivés au KL Buchenwald y restent.
Ce groupe, dont font aussi partie les « Tatoués » arrivés d’Auschwitz le 14
mai également, a une part importante dans l’évolution du rôle des Français
au sein de l’organisation communiste du camp et de la résistance au KL
Buchenwald. La caractéristique essentielle de ce camp est la mainmise des
triangles rouges, c’est-à-dire pour l’essentiel des communistes allemands, sur
l’administration interne. Ils sont aidés de communistes étrangers, germanophones,
tchèques, polonais, néerlandais, et de détenus politiques allemands
sociaux-démocrates ou catholiques. Tous sont antifascistes. Avec les
arrivées de ce transport et celles des « Tatoués », les Français, majoritairement
des communistes mais également des gaullistes, s’organisent et
s’imposent à leurs côtés. L’autorité incontestable de Marcel Paul, résistant
dans l’Organisation spéciale du parti communiste, qui fait équipe avec le
colonel Manhès arrivé depuis le 24 janvier 1944 au camp de Buchenwald,
s’impose rapidement. Pierre Durand, déporté dans ce transport, est choisi
comme interprète du fait de sa connaissance de la langue allemande : il
écrira l’histoire de la résistance à Buchenwald.
La majorité des autres déportés de ce transport connaissent des transferts
vers d’autres camps ou vers des Kommandos.
Au printemps 1944, la SS, sous la direction de Kammler, lance de
nouveaux chantiers visant à l’enfouissement de l’économie de guerre nazie,
et en particulier de l’industrie aéronautique, en utilisant une abondante main d’oeuvre
concentrationnaire. Ainsi, comme lors des transports précédents
dirigés vers le KL Buchenwald, la première destination de ces déportés est le
camp de Dora, vers lequel près de 45 % d’entre eux sont dirigés directement,
alors qu’ils sont au moins 1 110 à y avoir séjourné. A Dora, dans les
Kommandos d’Ellrich et d’Harzungen, les détenus sont affectés principalement
à des travaux de terrassement et 43 % ne rentrent pas de déportation.
Un autre contingent important, comprenant plus de 16 % des déportés du
12 mai, est transféré au village de Wieda pour être amalgamé à la
Baubrigade 3 qui vient d’arriver de la Ruhr et qui est composée de Polonais
et de Russes. Il s’agit de construire une nouvelle voie ferrée dans la vallée
de la rivière Helme. La Baubrigade 3 est chargée de la partie occidentale du
Helmetalbahn, tandis que la Baubrigade 4, chargée de la partie orientale, est
installée dans la ville d’Ellrich. La Baubrigade 3 travaille sur trois chantiers
avec des Kommandos annexes à Osterhagen, Nüxei et Mackenrode ; la 4
étant elle aussi installée à Günzerode. Mais ce dispositif est soudainement
changé, semble-t-il à la suite de problèmes internes à la SS. Les détenus de
la Baubrigade 3 sont alors conduits à Dora et sont remplacés à Wieda, et sur
les trois chantiers annexes, par des détenus se trouvant déjà à Dora ou
venant de Laura.
Par ailleurs, au moins 63 déportés de ce transport sont transférés le 10
juin vers le Kommando de Mülhausen et 49 vers celui de Schönebeck les 8
juin (39), 21 septembre (6) et 30 novembre (4). Il faut, enfin, signaler des
départs vers les KL Flossenbürg et Sachsenhausen, ainsi que vers celui de
Natzweiler où sont transférés 6 détenus classifiés « Nacht und Nebel » par la
Gestapo.
Si la quasi-totalité des personnes qui composent le transport sont de nationalité
française, on note la présence de 33 étrangers, dont 23 Polonais et
5 Belges. Les autres sont autrichiens, serbes, suisses et tchécoslovaques.
Contrairement aux transports précédents, le département d’arrestation le
plus représenté pour les personnes déportées dans ce transport n’est pas celui
de la Seine (14,2 %) mais celui du Jura (21,7 %) qu’il faut associer avec celui de
l’Ain (6,3 %). Cette sur-représentation résulte du démantèlement des maquis de
ces départements et des vastes rafles opérées par les Allemands qui
conduisent à l’arrestation entre décembre 1943 et avril 1944, de plusieurs
centaines de personnes : ce sont en particulier celles de Saint-Claude (Jura)
et Oyonnax (Ain), dont plus de 500 hommes sont déportés dans ce transport.
Par ailleurs, les arrestations dans la Seine, dans le Rhône (4,6 %) et dans
un secteur compris entre Paris et la Loire démontrent l’activité de la Gestapo
dans ces régions où s’opèrent de véritables démantèlements de réseaux. On
signalera en particulier l’arrestation de 15 membres du réseau Action et de 26
du réseau Hercule-Buckmaster, dans la Sarthe, de 28 membres du Front
National à Tours en février 1944, et de 21 agents du réseau Corps Franc
Vengeance arrêtés entre janvier et avril 1944 dans la région de Bourges.
Guy Ducoloné est arrêté alors qu’il est membre du triangle de direction des
Jeunesses communistes et responsable du recrutement pour l’Organisation
Spéciale. Pierre Sudreau, qui deviendra ministre, est arrêté pour avoir résisté
dans le réseau Brutus et est déporté dans ce transport avec André Boyer, son
chef et l’adjoint de celui-ci, André Clavé. André Schock, compagnon de la
Libération, délégué militaire du général de Gaulle, fait également partie de ce
transport. Au total, près de 50 % des personnes déportées le 12 mai ont été
arrêtées pour leur activité au sein d’organisations de résistance ; près de 10 %
pour des actes qualifiés de « résistance civile » comme les cas de manifestation
ou de propagande anti-allemande, alors que la majorité des autres sont des
raflés ou des otages arrêtés en représailles d’actes commis contre l’occupant et
auxquels ils n’ont pas forcément pris part.
Par ailleurs, 0,3 % des arrestations relèvent du droit commun.
On notera, également, que les arrestations des réfractaires au STO pour
tentative de franchissement de la frontière espagnole ont quasiment disparu et
cela depuis le début de l’année, fait qui résulte notamment de l’organisation de
nombreux maquis qui peuvent accueillir les réfractaires.
Claude Mercier, François Perrot
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Ces pages sont extraites du
:
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
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