mars 2010
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Transport parti le 21 mai 1944 de Compiègne
et arrivé le 24 mai 1944 au KL Neuengamme
Effectif recensé : 2 004 hommes
Matricules extrêmes : 30132 – 32120
Situations :
Décédés et disparus en déportation : 997 (49,7 %)
Rentrés de déportation : 788 (39,4 %)
Situations non connues : 219 (10,9 %)
Ce transport ferroviaire qui quitte la gare de Compiègne le dimanche 21 mai
1944 est le premier des quatre grands transports de déportation à destination
du camp de concentration de Neuengamme. Les transports des mois précédents
ont été surtout dirigés vers les KL Buchenwald et Mauthausen. Pourquoi
le grand camp du Nord de l’Allemagne devient-il à partir du mois de mai 1944
l’une des principales destinations des trains au départ du camp de
Compiègne ? Les ordres venus de Berlin obéissent sans doute d’abord à des
impératifs économiques et militaires. Les complexes militaro-industriels situés
autour des grands centres urbains d’Hambourg, de Brême, de Hanovre et de
Braunschweig (Brunswick), ont besoin d’une main-d’oeuvre toujours plus importante,
à un moment où la guerre prend une tournure critique pour le Reich. Par
ailleurs, le fait que ce transport fasse dans un premier temps un arrêt en gare de
Weimar, à proximité du KL Buchenwald avant de repartir vers celui de Neuengamme,
semble indiquer que d’autres camps de concentration sont alors
« saturés ».
Ces prisonniers sont conduits sous bonne escorte du camp à la gare de
Compiègne où ils sont entassés dans des wagons à bestiaux, à près d’une
centaine par wagon. C’est sûrement un des transports qui compte le plus de
personnes de nationalité étrangère. Elles représentent plus de 17 % de l’effectif
total. Au total, 17 nationalités différentes sont connues. Les Espagnols repré -
sentent à eux seuls 57 % des étrangers, auxquels il faut ajouter 15 % d’Italiens
et 10 % de Polonais.
La composition du transport n’est pas homogène du point de vue des motifs
d’arrestation. Ainsi, un certain nombre d’arrestations ont été opérées dès 1940,
et toutes celles qui sont connues de 1940 à fin 1942 concernent des militants
communistes appréhendés dans la région parisienne et dans le Nord-Pas-de-
Calais. Internés dans toute une série de prisons, dont Doullens et Ecrouves, ils
se retrouvent tous au centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir), qui est
évacué entièrement début mai sur le camp de Compiègne, ce qui explique le
nombre important d’anciens détenus de Voves dans ce transport du 21 mai.
Mais près de trois-quarts des membres de ce transport sont arrêtés en
1944, et 57 % dans les trois mois (mars, avril et mai) qui précédent le départ
du transport. En effet, au printemps, les actions de la Résistance montent en
puissance, dans l’attente et l’espérance d’un débarquement qui ne saurait
tarder. Dans toute la France, les sabotages d’usines, de transports ferroviaires
et de voies ferrées, les opérations des maquis contre les troupes d’occupation
se multiplient. Les parachutages d’armes sont de plus en plus nombreux. La
répression de l’occupant s’accentue en conséquence. Le Sipo-SD et la Milice
sont très actifs.
Lorsqu’ils ne parviennent pas à réduire leur activité, ils organisent en repré -
sailles, avec l’aide des unités locales de la Wehrmacht ou de la SS, de vastes
rafles contre la population civile. Ainsi, dans le département des Landes, à la
suite de l’attaque d’un convoi d’essence allemand en gare de Bourriot-
Bergonce, les Allemands, aidés de la Milice, arrêtent le 21 avril 1944 plusieurs
centaines de personnes. Quelques dizaines d’entre elles sont déportées après
avoir été internées à Bordeaux, au Fort du Hâ. On retrouve aussi dans ce
transport 21 hommes, dont 16 Italiens, 4 Français d’origine italienne et
1 Espagnol, pris dans la grande rafle du 9 avril 1944 à Saint-Claude (Jura),
qui ne sont pas déportées au KL Buchenwald comme la grande majorité des
personnes arrêtées ce jour-là. Par ailleurs, des rafles plus limitées ont aussi
lieu : ainsi celle menée le 18 mars 1944 dans un hôtel de Montmélian (Savoie)
par la Milice contre 7 Espagnols, qui sont, pour la plupart, d’anciens membres
de Compagnies de Travailleurs étrangers (CTE).
Beaucoup de groupes de résistance sont démantelés durant cette période.
Ainsi, en Ille-et-Vilaine, à la suite d’une série de sabotages effectués par le
réseau espagnol « Deportitas », les services de la police allemande et la
Milice, renseignés par les aveux de deux Espagnols, organisent une rafle dans
un café de Rennes, où leurs compatriotes ont l’habitude de se réunir. Le
20 mars 1944, le café Pécoil est investi et 44 travailleurs espagnols,
employés par l’Organisation Todt dans la région, sont arrêtés puis interrogés
au siège de la Gestapo, avant d’être écroués à la prison Jacques Cartier.
Toutes ces personnes, parmi lesquelles se trouvent des membres de l’organisation
anti-fasciste « Union Nacional Español », implantée à Rennes depuis le
mois d’avril 1942, sont dans ce transport. Parmi les résistants français, se
trouvent notamment des agents de divers réseaux arrêtés dans le département
de la Gironde, où les autorités allemandes semblent avoir mené une grande
vague de répression contre des militants des FTPF, des agents des réseaux
Mithridate-Alouette, Navarre et Centurie. Par ailleurs, un véritable démantè -
lement des Corps-francs Vengeance s’est opéré durant tout le début de
l’année 1944 dans les départements du Cher et du Finistère et 29 membres
de ce groupe au moins sont ici recensés. Enfin, dernier exemple, l’arrestation
d’étudiants dans les Côtes-du-Nord, membres d’un groupe de résistance affilié
à Libération-Nord, qui sont arrêtés à la suite de l’attentat commis contre un
soldat allemand : 3 au moins sont déportés dans ce transport, alors que
3 autres sont fusillés au Mont-Valérien.
Le transport arrive le 24 mai au soir au KL Neuengamme. Très vite, la
majorité des détenus est affectée aux Kommandos de Neuengamme. Ainsi,
3 transferts importants sont organisés.
Un premier groupe quitte le 26 mai le KL Neuengamme pour le Kommando
de Watenstedt. Il est composé de plus de 500 détenus du camp avec, parmi
eux, au moins 223 personnes arrivées le 24 mai.
Un deuxième transfert de 700 détenus environ est dirigé vers le Kommando
de Fallersleben, situé à 27 kilomètres au Nord-Est de Braunschweig.
429 déportés du 21 mai sont identifiés dans ce groupe.
Enfin, un troisième transfert important est organisé au départ du KL Neuengamme
en direction du Kommando de Bremen-Farge, où les prisonniers sont
affectés à la construction d’une base sous-marine. 189 déportés du 21 mai s’y
retrouvent.
Les autres déportés connaissent d’autres transferts moins importants en
nombre, soit vers d’autres Kommandos, comme Drütte, Hambourg, Schandelah,
etc., soit vers les KL Sachsenhausen, Natzweiler (pour les déportés
« Nacht und Nebel » surtout) ou Ravensbrück.
Un nombre important de déportés de ce transport est évacué en avril 1945
de différents Kommandos vers celui de Wöbbelin. Plus de 500 y sont identifiés.
111 décès y sont déclarés entre le 10 avril et le 2 mai 1945, date de la libération
des rescapés par les Américains. Notons que 36 déportés sont admis à l’hôpital
américain de Ludwigslust, installé pour les détenus libérés de Wöbbelin. 35 y
décèdent en raison de leur état de santé très dégradé. Le nombre de décès au
cours des dernières semaines avant la libération révèle les conditions extrê -
mement difficiles qu’ont eu alors à subir ces déportés dans les différents camps
et Kommandos.
Thomas Fontaine, Gérard Fournier, Guillaume Quesnée
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Ces pages sont extraites du
:
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
© copyright 2004 - Editions Tirésias