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Le transport parti de Compiègne
le 24 janvier 1943,
arrivé au KL Sachsenhausen
le 25 janvier 1943
(1466 hommes)
et arrivé au KL Auschwitz
le 27 janvier 1943
(230 femmes).
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Les femmes parties le 24 janvier 1943 de Compiègne
et enregistrées le 27 janvier au KL Auschwitz
Les hommes partis le 24 janvier 1943 de Compiègne
et arrivés le 25 janvier au KL Sachsenhausen
Effectif recensé : 230 femmes - 1 466 hommes
Matricules extrêmes :
31625 – 31854 (à Auschwitz)
57784 – 59432 (à Sachsenhausen)
Situations :
Evadés durant le transport : 2 (0, 1 %)
Libérés par les autorités allemandes : 3 (0, 2 %)
Décédés et disparus en déportation : 181 (78, 7 %) 498 (34 %)
Rentrés de déportation : 49 (21,3 %) 890 (60, 7 %)
Situations non connues : 73 (5 %)
Le 24 janvier 1943, en gare de Compiègne, un nouveau train prend la
direction de l’Allemagne, emmenant 230 femmes et au moins 1 466 hommes.
Après le transport du 6 juillet 1942, composé principalement d’otages communistes,
c’est le second, formé de déportés arrêtés par mesure de répression, à
partir de ce lieu. Le suivant part au mois d’avril.
C’est, en quelque sorte, un transport « double », composé d’hommes et de
femmes, embarqués dans des wagons séparés et dont les destins divergent sur
le territoire allemand. Le train part en direction de Châlons-sur-Marne, puis Metz,
avant de pénétrer en Allemagne. Un arrêt est d’abord effectué à Weimar, puis à
Halle, où les wagons des hommes sont séparés de ceux des femmes, situés en
queue de train. Les hommes prennent alors la direction du KL Sachsenhausen où
ils entrent le 25 janvier, alors que les femmes sont emmenées vers le KL
Auschwitz, dans la partie de la Pologne annexée au Reich, où elles arrivent
dans la soirée du 26 janvier.
Les femmes arrêtées par mesure de répression de ce transport sont les
seules à avoir été dirigées vers le complexe d’Auschwitz. Les autres femmes
venant de France étaient des Juives déportées dans le cadre de la « solution
finale ».
Le 23 janvier 1943, 222 prisonnières quittent, en camion, le fort de Romainville
pour le camp de Compiègne où elles sont enfermées dans un bâtiment en
vue de leur départ. Là se trouvent 8 autres femmes : 6 d’entre elles avaient été
extraites de la prison de Fresnes et les deux autres du Dépôt. Le lendemain
matin, ces 230 femmes sont emmenées en camion à la gare de Compiègne où
elles montent dans les quatre derniers wagons d’un train rempli, depuis la veille
au soir, par près de 1 500 hommes. Arrivées dans la soirée du 26 janvier, elles
ne descendent des wagons que le lendemain matin et entrent dans le camp de
Birkenau en chantant La Marseillaise. Elles sont immatriculées dans la série
des « 31000 ».
Ces déportées sont originaires de différents départements de la zone Nord
occupée et principalement de villes de plus de 10 000 habitants. Au moins
106 d’entre elles viennent de la région parisienne. La moitié de ces déportées
appartient à la classe ouvrière, un quart sont des commerçantes ou des
employées. On note aussi la présence de 10 institutrices et de 2 professeurs,
d’un médecin et d’une sage-femme, d’une dentiste et d’un reporter-photographe.
Plus de la moitié de ces femmes (119) sont communistes ou proches du
PCF. Elles sont pour 85 % d’entre elles des résistantes. Les autres ont été
arrêtées pour des raisons diverses dont 2 pour avoir tenté de passer la ligne de
démarcation. 45 d’entre elles sont des veuves de fusillés : elles avaient appris,
avant leur départ, l’exécution de leur mari par les Allemands comme otages, en
représailles des attentats organisés par les communistes contre les troupes
d’occupation. D’autres sont déportées en même temps que leurs maris,
enfermés dans les wagons destinés au KL Sachsenhausen : telle Joséphine
Bizzarri (« Mado ») arrêtée à Reims avec son époux, Claude Umido.
Dans ce convoi se trouve notamment Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui
avait épousé Paul Vaillant-Couturier, le rédacteur en chef de L’Humanité mort
en 1937, puis Pierre Villon, un des dirigeants du Front National pour la liberté et
l’indépendance de la France. Elle avait été arrêtée en février 1942 alors qu’elle
servait d’agent de liaison entre la direction du PCF et les branches de la Résistance.
Simone Sampaix est la fille de Lucien Sampaix, secrétaire général de
L’Humanité, fusillé le 15 décembre 1941. Danielle Casanova, chirurgien-dentiste,
militante communiste mariée à Laurent Casanova, est la fondatrice
de l’Union des jeunes filles de France, rédactrice de La voix des femmes.
Hélène Solomon, fille du professeur Langevin et veuve de Jacques Solomon
fusillé le 23 mai 1942, qui devient député à son retour de déportation, militait
avec Danielle Casanova au sein du Front national universitaire. Maÿ Politzer est
l’épouse du philosophe Georges Politzer, rédacteur dans L’Université libre et La
Pensée libre, fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942. Il faut noter, enfin, la
présence dans ce transport de Charlotte Delbo, secrétaire de Louis Jouvet
jusqu’en 1941, qui entre en résistance avec son mari Georges Dudach,
fusillé également le 23 mai 1942, et dont les recherches permettent de faire
l’histoire de ce transport.
Le sort des 230 femmes déportées est marqué par une mortalité
effrayante : seules 49 d’entre elles reviennent de déportation en 1945. Les
premiers mois suivant leur arrivée sont les plus meurtriers, en particulier à
cause de l’épidémie de typhus qui sévit dans le camp et des diverses formes
de « sélection » qui conduit les plus faibles dans les chambres à gaz. Charlotte
Delbo indique qu’elles ne sont plus que 70, le 10 avril 1943.
En juillet – le 16 pour Marie-Claude Vaillant-Couturier et le 24 pour ses
compagnes – les « 31000 » reçoivent le droit de correspondre avec leur
famille et de recevoir des colis.
Le 3 août, alors que 13 nouveaux décès ont été enregistrés, la plupart
des 57 dernières survivantes sont placées en quarantaine, dans une
baraque installée juste devant l’entrée du camp. Celle-ci servait notamment
à mettre « à l’isolement, avant leur sortie, des Allemandes de droit commun
qui avaient purgé leur peine. » Les détenus politiques français de sexe
masculin rassemblés au camp principal connaissent à leur tour, un sort
semblable. Pourquoi cette quarantaine ? Les nazis ont-ils envisagé,
pendant un temps, le transfert de ces déportés vers des camps moins
durs ? Ce qui nécessitait qu’aucun ne soit touché par le typhus. Cette
quarantaine est-elle à mettre en relation avec les démarches entreprises par
les familles des « 31000 » auprès de la Croix-Rouge à la suite de la
réception, a` partir d’avril 1943, de plusieurs avis de décès les concernant ?
Ou est-elle due a` la diffusion, en mai 1943, d’un tract du Front national
révélant le départ des prisonnières de Romainville pour Auschwitz et les
conditions épouvantables de détention dans ce camp ? Tract dont le
contenu est repris par Fernand Grenier dans une émission de Radio-
Londres, le 17 août. Durant leur quarantaine, les « 31000 » sont exemptées
de travail, de marche, d’appel général et peuvent se laver. Cette période de
répit qui se termine en juin 1944, freine la mortalité du groupe des
survivantes : 5 décès sont à déplorer entre août et novembre 1943.
17 « 31000 » ne connaissent pas cette quarantaine, parce qu’elles ont été
affectées dans un Kommando de Raisko dont le régime est également plus
clément : un laboratoire où des chercheurs expérimentent la culture du koksaghiz,
une sorte de pissenlit dont la racine contient une forte proportion de
latex. Elles se sont fait inscrire comme laborantines ou jardinières.
Le 7 janvier 1944, 8 de ces dernières sont transférées vers le KL
Ravensbrück : 5 partent ensuite vers le Kommando de Beendorf, une mine
de sel dépendant du KL Neuengamme et 1 autre vers un Kommando du KL
Flossenbürg, 2 restant au KL Ravensbrück. Les 9 qui demeurent à Raisko sont
transférées au KL Ravensbrück le 16 août 1944, où elles retrouvent la plupart
de leurs camarades qui, placées en quarantaine à Birkenau, avaient réintégré le
régime général du camp en juin 1944, et avaient été emmenées au KL Ravensbrück le 3 août.
La majorité des 33 « 31000 », arrivées dans ce camp le 4 août, sont placées
au Block des détenues « Nacht und Nebel », ce qui signifie notamment qu’elles
ne sont pas transférées dans des Kommandos de travail extérieurs au camp
principal. Seule Adélaïde Hautval est envoyée à Watenstedt, dépendant du KL
Neuengamme, pour servir de médecin au Revier du camp, et cela de manière
temporaire, avant de revenir à Ravensbrück.
Par ailleurs, les 2 « 31000 » qui étaient restées au Revier de Birkenau
comme malades au moment des départs d’août vers Ravensbrück, connaissent
un parcours différent. Marie-Jeanne Bauer est libérée du camp par les Russes
le 27 janvier 1945. Marcelle Mourot rejoint, elle, le KL Ravensbrück dans un
transport du mois de novembre 1944. Puis, après un passage par le
Kommando d’Oranienburg, elle revient dans ce camp en février 1945.
Elles sont alors 44 à se trouver à Ravensbrück. 33 sont transférées le
4 mars 1945, dans un important transport vers le KL Mauthausen, composé
en majorité de détenus «NN» : 3 d’entre elles trouvent la mort lors de travaux
de déblaiement, à Amstetten, 30 sont libérées le 22 avril par la Croix-Rouge et
acheminées en Suisse. Les 5 femmes transférées à Beendorf sont libérées de
ce Kommando en mai 1945, tout comme celle partie vers le Kommando de
Flossenbürg, en Tchécoslovaquie. Hélène Solomon, arrivée avec ses camarades
de Raisko le 16 août, ne reste pas à Ravensbrück : transférée comme
infirmière dans une usine près de Berlin, puis au Kommando d’Oranienburg,
elle est libérée au cours de la « marche de la mort » d’évacuation. 11 sont donc
libérées du KL Ravensbrück en avril 1945, dont 8 les 22 et 25 par la Croix-
Rouge, avant d’être emmenées en Suède. Marie-Claude Vaillant-Couturier et
Heidi Hautval, restées au chevet de Simone Loche, gravement malade, sont
libérées à Ravensbrück par l’armée soviétique.
Les hommes de ce transport sont les premiers déportés partis de France à
être dirigés vers le KL Sachsenhausen, près de Berlin. Deux autres transports,
en avril et en mai 1943, prennent la direction de ce camp.
Deux motifs d’arrestation caractérisent le groupe des hommes : soit l’appartenance
(majoritaire) au PCF ou au Front National pour la liberté et l’indé
pendance de la France, soit le passage ou l’aide au franchissement de la ligne
de démarcation ou de la frontière espagnole. D’autres hommes de ce transport
sont également arrêtés pour leur appartenance à une organisation de résistance,
comme ces 8 membres du réseau Uranus-Kléber, spécialisé dans les
filières d’évasion, arrêtés en Meurthe-et-Moselle pour leur aide notamment à
des prisonniers de guerre évadés. Enfin, le cas de Marcel Leboucher indique
que le transport comprend également des otages arrêtés par mesure de repré-
sailles à la suite d’attentats commis contre les troupes allemandes.
La présence de communistes explique qu’un cinquième, de ceux pour
lesquels nous connaissons la date d’arrestation, est arrêté entre 1939 et fin
1941, à la suite de l’interdiction du PCF et de la répression de ses militants et de
ses sympathisants. Des arrestations ont lieu dans la zone Nord occupée,
surtout dans la Seine, mais aussi dans l’Oise, la Somme, la Haute et Basse-
Normandie, la Bretagne ou encore la Charente et la Charente-Maritime, où plus
de 40 membres du Front National sont arrêtés entre août et septembre 1942,
notamment après des distributions de tracts à Royan le 18 juin 1942. En Indre et-
Loire, ce sont une cinquantaine de communistes, tous ouvriers dans une
usine de Tours, qui sont appréhendés pour «reconstitution de ligues communistes»
et distributions de tracts.
Les tentatives de passage de la frontière espagnole expliquent que des
arrestations s’effectuent également dans les Pyrénées-Orientales, les
Basses-Pyrénées ou les Landes. De même, du fait cette fois du passage de
la ligne de démarcation, beaucoup d’hommes sont interpellés dans la Vienne,
le Cher, l’Allier, la Saône-et-Loire, le Doubs, etc.
Après leur arrivée à Sachsenhausen, la plupart des hommes sont, soit
affectés à des Kommandos, soit transférés dans d’autres KL. Ainsi, plus de
600 d’entre eux sont affectés, entre février et octobre 1943, au Kommando
Heinkel, le plus important à dépendre de ce camp de concentration et où
sont fabriquées des pièces d’avion. D’autres transferts, moins importants,
sont organisés vers les Kommandos de Falkensee, Klinker et Speer. Plus de
170 déportés sont transférés au KL Buchenwald, durant l’été 1943 et le mois de
février 1945 ; au moins 80 partent le 14 juillet 1944 vers le KL Dachau, où ils
sont immatriculés dans la série des « 80000 » ; alors que des effectifs moins
importants sont envoyés vers les KL Flossenbürg, Mauthausen, Neuengamme,
Ravensbrück ou Natzweiler.
Au total, avec des différences selon ces parcours, un peu plus d’un tiers
des hommes de ce transport ne reviennent pas de déportation. Parmi eux,
citons le cas des fusillés du 11 octobre 1944, pour leur activité résistante au
sein du camp.
Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée.
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Ces pages sont extraites du :
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
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