mars 2010
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Le transport parti le 27 avril 1944 de Compiègne
et arrivé au KL Auschwitz-Birkenau le 30 avril 1944
Effectif recensé :
Estimé au départ : 1 670 hommes
Recensé : 1 653 hommes
Matricules extrêmes : 184936 – 186590
Situations :
Décédés durant le transport : 3 (0,2 %)
Libérés par les autorités allemandes : 2 (0,1 %)
Décédés et disparus en déportation : 816 (49,6 %)
Rentrés de déportation : 800 (48,2 %)
Situations non connues : 32 (1,9 %)
Parti de Compiègne dans la matinée du 27 avril 1944, à cent par wagon à
bestiaux, c’est le troisième convoi de non-juifs qui, directement, est allé à
Auschwitz. Il y arrive le 30 avril au soir. 1655 détenus sont immatriculés, des
numéros « 184936 » à « 186590 ». D’après les recherches effectuées dans les
registres reconstitués de Compiègne, une quinzaine de déportés supplémentaires
partent dans ce transport sans qu’on puisse les retrouver ensuite : ils sont
donc décédés avant l’arrivée au camp. Le nombre de partants devait donc être
de 1670. Il n’y eut aucune évasion connue pendant le transport. Un déporté,
Louis Boverie, au moins décède avant d’avoir été immatriculé, exécuté par un
SS à la descente du train alors qu’il a tenté de s’évader en prenant une moto.
Il faut quatre jours et trois nuits de voyage dans des wagons à bestiaux pour
arriver, le 30 avril, en fin d’après-midi, à la gare d’Auschwitz-marchandise, la
ligne de chemin de fer conduisant les détenus à l’intérieur du camp n’étant pas
encore opérationnelle. « La première journée, de Soissons à Charleville-
Mézières, les villes se succédaient en direction du nord-est alors que la
matinée de la seconde journée marquait une descente vers le sud-est,
jusqu’à Metz, suivie l’après-midi d’une remontée nord/nord-est qui faisait
pénétrer le convoi en Allemagne, par Trèves. Les troisième et quatrième
jours, l’itinéraire s’incurvait à travers l’Allemagne : Giessen, Weimar, Dresde,
puis le train filait à toute vapeur vers (...) la Pologne. »
Les déportés sont d’abord parqués dans deux baraques du camp Canada
de Birkenau, sur la terre nue, tout près du complexe chambre à gaz-crématoire
IV. Après le tatouage (sur l’avant-bras gauche) et le passage à la désinfection,
ils sont transférés au camp BIIb au bout de quelques jours.
Le vendredi 12 mai, un train est formé près de la porte principale du camp. Il
emmène 1561 de ces déportés, à 60 par wagon, vers le KL Buchenwald où il
arrive le 14 mai au matin. Sur les 94 malades resté à Auschwitz-Birkenau,
17 rejoignent Buchenwald quelques jours après et 12 autres y sont transférés le
1er octobre 1944. Au moins 43 des 65 personnes restées à Auschwitz ne
rentrent pas de déportation ; 19 décèdent en mai 1944.
A leur arrivée au KL Buchenwald, après un nouveau passage obligé à la
désinfection et l’attribution de matricules (de 52401 à 54019), les déportés sont
entassés, pour la plupart, au block 57 du petit camp. Le 24 mai, 1 000 d’entre
eux partent au KL Flossenbürg où ils sont à nouveau immatriculés de 9312 à
10311, puis répartis dans divers Kommandos : Floha, Janowitz, Hersbrück, etc.
Sur ce groupe, 617 ne reviennent pas.
Les 590 autres, restés au camp de quarantaine de Buchenwald, soit
montent au grand camp, soit sont éparpillés dans une quinzaine de
Kommando et de camps extérieurs : Dora, Schönebeck, Langenstein,
Weimar, etc. Sur ce groupe, on compte 161 décès, soit un pourcentage deux
fois moindre que dans le groupe parti à Flossenbürg.
Pour l’ensemble de ce transport, il y eut 822 décédés. Précisons, par
ailleurs, que deux déportés sont libérés de ces camps de concentration : le
premier l’est le 7 juin 1944 du KL Buchenwald et il rentre en France parce que
son absence est préjudiciable à la bonne marche de son usine ; le second l’est
le 9 octobre 1944 du KL Flossenbürg pour être mis au travail à Erbendorf, sans
que l’on connaisse les raisons de ce régime de faveur.
Ce transport est surtout resté célèbre sous le nom de « Convoi des
tatoués » à cause d’une polémique concernant les raisons pour lesquelles il
avait été envoyé à Auschwitz : soit pour que les déportés y soient exterminés,
soit par manque de place à Buchenwald, soit enfin pour qu’ils y soient versés
dans des Kommando de travail comme le seront des Français d’autres transports
venant de Dachau ou de Mauthausen en novembre 1944.
Aucun document n’a été trouvé confirmant ou infirmant l’une de ces thèses,
mais les déportés ayant été tatoués dès leur arrivée à Birkenau, la première
hypothèse est à écarter car les SS ne tatouaient pas ceux qui étaient destinés à
la chambre à gaz.
Quant à la seconde, celle d’un manque de place à Buchenwald, la longue
attente en gare de Weimar et le court séjour à Auschwitz, comme en transit, la
rendent plausible. Un autre fait plaide en faveur de cette thèse : les listes. En
effet, à l’arrivée d’un transport, une liste des arrivants est dressée par l’administration
du camp et renvoyée au Befehlshaber der Sicherheitspolizei (BDS) de
Paris, qui s’est chargé de la déportation des détenus, comme une sorte de reçu.
Pour ce transport, un exemplaire a été retrouvé, dressé le 6 juin 1944 à
Buchenwald et numéroté de 100 à 1677. Cette liste comporte 1578 noms ;
les 99 manquants ayant été remplacés par des détenus polonais ou tchèques
qui n’ont rien à voir avec le transport, mais qui permettent d’avoir une comptabilite
´ « en règle ». Ainsi, pour le BDS Paris, un convoi de 1677 déportés parti de
Compiègne est arrivé à Buchenwald, comme si l’épisode d’Auschwitz n’avait
jamais existé.
Par contre, dans le dossier complet d’un détenu ayant été libéré à Flossenbürg,
retrouvé au siège de la gestapo de Berlin et conservé au bureau des
archives du monde combattant à Caen, figure sur sa fiche d’entrée à Auschwitz
le tampon « Meerschaum » (Ecume de mer) qui était le nom de code des
transports de déportés destinés au travail. Cela viendrait confirmer la
dernière hypothèse.
L’étude des registres reconstitués d’entrée au camp de Compiègne permet
de donner un premier aperçu de la composition de ce transport, et notamment
de l’origine géographique des déportés. Un cinquième d’entre eux environ,
arrive à Compiègne en provenance des prisons parisiennes et de la Seine.
Proches de la capitale, les prisons de Rouen (représentant un peu plus de
7 % des déportés de ce transport) et de Blois (avec notamment des arrivées
importantes vers le 20 février 1944 entre les matricules « 27600 » et « 28000 »)
se distinguent dans ces listes. Un quart des déportés sont originaires du grand
ouest français : ce sont surtout les prisons du Finistère, du Morbihan, de Loire-
Inférieure, de Gironde et de Haute-Garonne, qui les envoient vers Compiègne.
A l’inverse, ils sont moins de 20 % à provenir de l’Est de la France (dont un
groupe de Savoie). Enfin, et en dehors des arrivées diverses et de celles non
identifiées, mais en continuant de suivre les points cardinaux, il faut noter
l’arrivée d’une cinquantaine de personnes de la prison de Marseille et de
soixante-dix autres du Pas-de-Calais. Au total, on le voit, les origines sont
diverses et elles couvrent, avec des écarts numériques qui peuvent toutefois
être importants, l’ensemble du territoire. En cela, la composition de ce transport
s’inscrit parfaitement dans celles des autres qui partent durant cette période du
camp de Compiègne.
L’étude des dates d’arrestation semble indiquer que ces prisons se vident
au fur et à mesure que les arrestations s’accélèrent sur le territoire. En effet,
plus des trois-quarts des déportés de ce transport sont arrêtés dans les six mois
qui précèdent le départ. Moins de 5 % le sont en 1940, 1941 et 1942, et un peu
plus de 7 % entre janvier et juin 1943. Par ailleurs, la courbe se modifie surtout
nettement à partir de janvier et de février 1944, ces deux mois concentrant
47,3 % des arrestations ; contre 19,9 % ensuite et 21,1 % précédemment, de
juillet à décembre 1943. Les arrivées au camp de Compiègne ont donc surtout
lieu en mars-avril 1944.
Cette chronologie est évidemment à rapprocher de celle de l’évolution du
conflit mondial et de l’occupation allemande en France. Les actions menées
contre cette dernière s’accélèrent en effet à partir de la fin de l’année 1943, et
les arrestations se multiplient d’autant. Parmi celles-ci et à titre d’exemple, une
étude menée à partir de listes de l’amicale des déportés de ce transport, portant
sur plus de 20 % d’entre eux, permet de faire ressortir la part importante des
résistants représentant plus de 70 % des motifs connus. On y retrouve, pour
moitié des membres de réseaux de résistance et, pour un quart, des membres
de mouvements ; le dernier quart étant constitué de résistants liés au parti
communiste et au Front National. Se distinguent notamment, pour les
réseaux, ceux dits Buckmaster, liés aux services britanniques, ou les réseaux
Turma-Vengeance, Jade, Brutus, Castille, Marie-Odile ; et pour les mouvements
de zone Nord, Ceux de la Résistance, Libération-Nord ou l’Organisation
civile et militaire, sans oublier le Front National.
Notons également qu’un certain nombre de personnalités marquantes de la
Résistance, dont plusieurs devinrent ministres ou grands serviteurs de l’Etat,
font partie de ce transport. Et si l’on se replace au moment de son départ,
rappelons qu’il emmène en déportation, notamment, Marcel Paul, ancien
conseiller général de Paris et résistant dans l’Organisation spéciale du parti
communiste ; le responsable des FTP de la région Ile-de-France, Robert
Darsonville, ainsi qu’un certain nombre de ses adjoints ; les parlementaires
François Beaudoin, député de la Moselle, résistant dans le réseau Cahors-
Asturies, et Louis Destraves, ancien député -maire de Houilles dans les
Yvelines ; le journaliste au Temps Rémy Roure ; le propriétaire de L’Indé -
pendant de Perpignan, Georges Brousse ; le polytechnicien et neveu de
l’amiral, Georges Thierry d’Argenlieu ; le comte Paul Chandon-Moët ; les
poètes Robert Desnos et André Verdet ; le peintre Léon Delarbre, conservateur
du musée des Beaux-Arts de Belfort ; etc. Trois « tatoués » ont par ailleurs été
nommés Compagnons de la Libération : Rémy Roure, André Boulloche,
délégué militaire de la France Libre pour Paris et sa région ; et son adjoint
Ernest Gimpel. Arrêté au début du mois de janvier 1944, André Boulloche,
blessé par balle au cours de son interpellation, est opéré à l’hôpital de la
Pitié avant d’être interrogé et déporté par les Allemands.
Paul Le Goupil
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Ces pages sont extraites du
:
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
© copyright 2004 - Editions Tirésias