mars 2010
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Transport parti le 2 juillet 1944 de Compiègne
et arrivé le 5 juillet 1944 au KL Dachau
Effectif recensé : 2 162 hommes
Matricules extrêmes : 76418 - 78047
Situations :
Décédés durant le transport : 530 (24,5 %)
Décédés et disparus en déportation : 574 (26,6 %)
Rentrés de déportation : 947 (43,8 %)
Situations non connues : 111 (5,1 %)
Ce transport est le cinquième parti de France à prendre la direction du KL
Dachau depuis le débarquement de Normandie. C’est aussi le plus important
qui ait jamais quitté Compiègne. Il est resté tristement célèbre sous le nom de
« Train de la mort » en raison du nombre élevé des décès survenus durant le
voyage : 530 hommes au moins, recensés par la FMD, trouvent la mort à
l’intérieur des wagons pendant les 4 jours de trajet.
Le dimanche 2 juillet 1944, vers 9 heures 15, le train n° 7909 s’ébranle sous
une légère bruine de la gare de Compiègne en direction de l’Allemagne. Dans
chacun des 22 wagons, les nazis ont entassé une centaine d’hommes. Avant
Soissons, le soleil fait son apparition et la chaleur envahit rapidement les
wagons, d’autant plus que le train roule lentement et observe des arrêts
fréquents. A 11 heures 05, le sabotage de la voie l’oblige à stopper au
niveau de Saint-Brice, quelques kilomètres avant Reims. Les dégâts sont peu
importants et le transport reprend sa route après trois heures d’arrêt sous un
soleil de plomb. Il s’immobilise ensuite une première fois en gare de Reims. La
chaleur, le manque d’eau et l’asphyxie sont déjà à l’origine d’une centaine de
décès. Le convoi repart vers 15 heures 10, mais, après un court trajet, un
nouveau sabotage est à l’origine du déraillement de la locomotive au niveau
de l’aiguillage du dépôt de Bétheny. Les wagons sont ramenés par un tracteur
de manoeuvre à la gare de Reims, sur une voie de garage, où ils stationnent en
plein soleil en attendant le relèvement de la locomotive. Les morts se succèdent
pendant ce long arrêt alors que la chaleur est devenue suffocante. Des détenus
médecins appellent les services sanitaires et les nazis entrouvrent quelques
portes. Dans certains wagons, les hommes, poussés par la folie, s’entretuent.
Enfin, vers 20 heures, le train reprend sa route vers l’Est et roule toute la nuit.
Le 3 juillet, en fin de matinée, le transport s’arrête à Revigny, à quelques
kilomètres au nord-ouest de Bar-le-Duc. Les cadavres de la veille commencent
à se décomposer et les Allemands décident d’ouvrir les portes. Ils font
descendre les survivants et en désignent quelques-uns pour enlever les
corps et les transporter dans des voitures libérées à cet effet. Les agonisants
sont achevés sur le ballast d’une balle dans la tête. D’autres détenus sont
chargés du ravitaillement en eau, alors que la pluie tombe à torrent. Ces opérations
terminées, les détenus sont regroupés dans les wagons, puis le n° 7909
quitte Revigny vers 15 heures. Les scènes de violence se poursuivent et le
calme ne revient qu’en soirée, alors que le convoi franchit la Moselle et s’arrête
vers 21 heures 50 en gare de Novéant, devenue gare-frontière depuis l’annexion
de fait de l’Alsace-Moselle. Les Allemands comptent alors
450 cadavres dont la plus grande partie a péri lors de la première journée de
trajet.
Le 4 au matin, le train quitte Novéant vers 7 heures 15 en direction de
Sarrebourg où il s’immobilise en fin de matinée. Les portes s’ouvrent et des
infirmières de la Croix-Rouge allemande s’avancent pour distribuer de la soupe
et de l’eau. Mais, vers 15 heures 15, les Allemands interrompent brutalement le
ravitaillement et ordonnent le départ. Le train rejoint Strasbourg par la trouée de
Saverne, puis il s’enfonce en Allemagne en passant par Karlsruhe, Pforzheim,
Stuttgart, Ulm, Burgau, Augsbourg et Munich. Après un dernier arrêt dans cette
ville, il arrive à Dachau-gare le mercredi 5 juillet vers 15 heures. Une heure et
demie plus tard, les survivants font leur entrée au KL Dachau alors que les
corps sans vie sont retirés du train puis transportés directement au crématoire
sans être enregistrés. La FMD a recensé 1632 survivants immatriculés au KL
Dachau le 5 et le 6 juillet 1944.
Ce transport s’inscrit dans le contexte particulier du début de la libération du
territoire français par les troupes alliées. Le répression allemande s’est
amplifiée depuis plusieurs mois en raison du développement de la lutte
armée contre l’occupant. Le démantèlement des groupes de résistance et les
rafles de représailles sont à l’origine du plus grand nombre des arrestations.
Parmi les résistants de ce transport, on peut citer Claude Lamirault et Charles
Serre, qui sont faits tous les deux Compagnons de la Libération après la guerre.
Le premier est le créateur du réseau « Jade Fitzroy », le second devient chef
national du mouvement « Résistance » et rédacteur en chef de la feuille clandestine
du même nom, après l’arrestation en octobre 1943 de Jacques Destrée,
qui l’avait désigné comme son successeur. Il participe à Paris à la création du
Mouvement de Libération Nationale (MLN).
Si des hommes de ce transport ont été arrêtés dès la fin de l’année 1940,
en particulier des communistes ou des droit commun, le nombre des arrestations
reste assez limité jusqu’au début de l’année 1944. Elles ont lieu dans de
nombreuses régions, mais plusieurs se distinguent plus particulièrement : le
Bassin Parisien, la Bretagne, le Val-de-Loire, le Centre, le Sud-Ouest et le
Rhône-Alpes. Poussés par le temps, les Allemands décident de vider les
prisons et regroupent ces hommes au camp de Compiègne-Royallieu, où ils
ne séjournent que peu de temps avant d’être acheminés vers l’Allemagne :
98 % des déportés du « Train de la mort » ont été internés à Compiègne en
mai et juin 1944.
Le transport du 2 juillet à destination du KL Dachau regroupe donc une
majorité de résistants et de personnes prises au cours de rafles de représailles
opérées par les Allemands. Parmi ces opérations, il faut citer celles menées par
la division SS Das Reich lors de sa remontée vers la Normandie, en juin 1944.
Le 8, par exemple, elle lance une attaque contre le maquis de Gabaudet (Lot).
Le 9, elle opère une rafle massive parmi la population masculine de la ville de
Tulle (Corrèze) : environ 200 hommes sont arrêtés et 99 sont pendus aux
réverbères et aux balcons de la ville, alors que les autres sont conduits à
Compiègne puis déportés en Allemagne. Le lendemain, elle agit de même à
Masléon (Haute-Vienne).
Le centre du pays n’est pas le seul théâtre de la répression allemande. En
février 1944, des rafles et des attaques contre le maquis sont à l’origine d’une
quinzaine d’arrestations en Haute-Savoie. On peut aussi citer les 7 membres
des réseaux Arc-en-Ciel et Turma-Vengeance arrêtés par la Gestapo dans la
nuit du 6 au 7 juin 1944, à Villers-Cotterêt et à Largny, dans l’Aisne. Le 9 juin
1944, une vingtaine d’hommes, membres de la résistance ou déserteurs des
Chantiers de Jeunesse, sont raflés en gare de Toulouse puis transférés à la
prison Saint-Michel ou à la caserne Cafarelli, avant d’être conduits à
Compiègne. Le 10 et 11 juin, 10 FFI du Corps Franc Liberté sont arrêtés à
La Ferté -Saint-Aubin (Loiret), puis transférés à Orléans quelques jours avant
leur départ pour Compiègne. Autant d’exemples qui pourraient être multipliés
pour montrer l’intensité de la répression allemande sur l’ensemble du territoire
français.
Par ailleurs, un groupe de 50 prisonniers de la centrale d’Eysses fait
également partie du transport du 2 juillet 1944. L’échec de la mutinerie du
19 février 1944 conduit à l’évacuation totale de ses détenus vers le camp de
Compiègne alors que les meneurs sont envoyés à la prison de Blois. La quasi
totalité des hommes arrivés à Compiègne le 3 juin 1944 quittent la France dans
le transport du 18 juin 1944 à destination du KL Dachau. Les 36 détenus de
Blois ainsi que leurs camarades restés à l’infirmerie du camp de Compiègne
sont intégrés au transport suivant, celui du 2 juillet 1944. Il s’agit souvent de
militants communistes ou de patriotes arrêtés dès 1940 ou 1941.
Au moment du départ pour l’Allemagne, les anciens d’Eysses parviennent à
rester groupés (environ 30 dans un wagon, 20 dans un autre). Ils organisent la
répartition des vivres et de l’eau, se préoccupent de l’hygiène, grâce
notamment à l’autorité des deux médecins du groupe, Paul Weil et Stéphane
Fuchs. Enfin, ils réussissent à imposer la discipline entre les déportés. Seuls
4 anciens d’Eysses décèdent lors de ce tragique transport. Par ailleurs,
13 autres trouvent la mort au cours de leur déportation : 3 à Flossenbürg, 3 à
Hersbruck, 2 à Dachau, 1 à Buchenwald (après la libération du camp), 1 à
Ohrdruf, 1 à Vaihingen, 1 dans la baie de Lübeck-Neustadt et 1 à Sandbostel
(avant le rapatriement). La solidarité entre les Eyssois a sans nul doute joué et
elle explique, en partie, une relative sous-mortalité à l’intérieur de ce groupe (un
tiers de décès environ contre 51 % pour l’ensemble du transport).
Peu nombreux sont les déportés arrivés au KL Dachau le 5 juillet 1944 à
rester au camp central. Après une période de quarantaine, ils sont pour le plus
grand nombre affectés dans des Kommandos extérieurs. 463, au moins, sont
dirigés sur des Kommandos de Natzweiler (Neckarelz et Neckargerach surtout,
mais aussi Leonberg et Vaihingen). Pour la majorité, le transfert s’effectue le
22 juillet 1944 et ils reçoivent à leur arrivée, le 24, des matricules dans la série
des « 21000 ». Au total, 142 trouvent la mort pendant leur déportation (30,7 %).
Par ailleurs, 223, au moins, quittent Dachau le 25 août 1944 pour le
Kommando d’Hersbruck dépendant du KL Flossenbürg, où ils sont immatriculés des numéros 20375 à 21365. C’est parmi ce groupe que l’on relève le
taux de décès le plus élevé puisque 183 meurent en déportation (82 %).
Enfin, 134, au moins, gagnent le Kommando d’Allach, à quelques kilomètres
au sud du camp central, dans plusieurs transports semble-t-il, à la fin
du mois de juillet et au début du mois d’août 1944. Ce groupe est celui qui
enregistre le moins de décès : 19 périssent durant leur déportation (14,2 %).
Au total, le taux de décès parmi les déportés immatriculés le 5 juillet 1944
au KL Dachau s’élève à 35,2 %.
Maurice Voutey et Arnaud Boulligny
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Ces pages sont extraites du
:
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
© copyright 2004 - Editions Tirésias