mars 2010
26
Transport parti le 28 juillet 1944 de Compiègne
et arrivé le 31 juillet 1944 au KL Neuengamme
Effectif recensé : 1 652 hommes
Matricules extrêmes : 39294 – 40944
Situations :
Décédés durant le transport : 4 (0,2 %)
Décédés et disparus en déportation : 1036 (62,7 %)
Rentrés de déportation : 545 (33 %)
Situations non connues : 67 (4,1 %)
Le transport parti dans la soirée du vendredi 28 juillet 1944 est le quatrième
dirigé directement vers le KL Neuengamme depuis la fin du mois de mai 1944.
Embarqués dans des wagons à bestiaux, les déportés y passent trois nuits
avant d’arriver à la gare de Bergedorf, près du camp, le lundi 31 juillet, au
matin. Des déportés ont pu relever les différentes étapes du trajet, par les
villes de Soissons, Reims, Charleville-Mézières, Sedan, Carignan, Longwy,
Audun-le-Roman, Thionville en France, puis Trèves, Cologne, Hambourg et
Bergedorf en Allemagne. En cours de route, le train est stoppé plusieurs fois
en raison des bombardements opérés par les aviations alliées et des tentatives
d’évasion. A Soissons, les Allemands découvrent dans l’un des wagons une
brèche ouverte par des détenus. Ils exigent que les responsables se
dénoncent, ce qu’ils obtiennent après avoir menacé de tirer sur tous les occupants
du wagon. Les deux jeunes gens sont fusillés sur la voie ferrée. A
Reims, deux autres détenus, qui ont tenté de s’évader, sont également
fusillés. Ces 4 tués sont toutefois transportés jusqu’à Neuengamme, où ils
sont immatriculés.
Composé de détenus du camp de Compiègne-Royallieu, ce transport est
l’avant-dernier qui arrive dans un camp de concentration du Reich. Il est suivi, le
17 août 1944, par un transport qui prend la direction du KL Buchenwald. Au
moment où il part, le débarquement a déjà eu lieu depuis près de deux mois,
mais les déportations se poursuivent, vidant ce centre majeur de détention en
zone occupée. Dès lors, sa composition reflète ce contexte particulier : d’abord
par le fait que les déportés ont été très majoritairement arrêtés dans les quatre
mois qui précèdent le départ, c’est-à-dire au moment où la répression allemande
s’amplifie face à l’accélération des actions armées ; et ensuite parce
qu’il présente de nombreux cas d’arrestations différents, qui s’expliquent par le
regroupement opéré à Compiègne alors que les Allemands en ont encore le
temps. On retrouve donc ici, en dehors de quelques droit commun, une
majorité de résistants et de personnes arrêtées dans des rafles massives
opérées dans plusieurs départements.
C’est le cas de la plus grande partie des arrestations opérées en juin et en
juillet. Ainsi, le 30 juin 1944, 52 hommes du village de Crozon (Finistère) sont
emmenés par les Allemands à la suite de la coupure d’un câble téléphonique
reliant le dispositif allemand de la Pointe du Raz à la base aéronavale de
Lanvéoc-Poulmic. Ces hommes sont transférés, avec d’autres personnes originaires
de la Bretagne, dans un transport à destination du camp de Compiègne
qui met plus de treize jours à arriver. Dans le département du Jura, près de
80 hommes sont aussi arrêtés, presque tous en même temps, le 11 juillet 1944,
à la suite d’une vaste opération de représailles dans les villages où les Allemands
avaient rencontré ou soupçonné une forte résistance. Réunis à Bourg-
en-Bresse, ces otages sont dirigés sur Compiègne. On citera enfin également,
dans le département de l’Ain, les grandes rafles des habitants de Montréal-la-
Cluse et d’Oyonnax, dont plus de 80 personnes sont déportées dans ce
transport.
Mais les arrestations touchent également beaucoup de membres de
réseaux et de mouvements démantelés. La variété des appartenances à des
organisations de résistance peut être constatée à travers les déportés de ce
transport. Maurice Guillaudot, arrêté en décembre 1943, chef de l’Armée
Secrète dans le Morbihan, et Gustave Barlot, qui résiste dans les services du
BCRA de la France libre, sont nommés Compagnons de la Libération à leur
retour. On citera également les arrestations de nombreux Francs-Tireurs et
Partisans (FTPF), de membres de Ceux de la Résistance, de Libération-
Nord, dont Jean Gosset, adjoint de Jean Cavaillès et chef par intérim de l’organisation,
ou des réseaux Buckmaster liés aux services britanniques. On
connaît par exemple les noms d’au moins 45 membres du réseau Turma-
Vengeance et de ses Corps-Francs, dans les départements du Finistère, du
Loiret, du Morbihan et de l’Orne.
Enfin, 39 personnes de ce transport sont arrêtées comme « otages »,
quelques jours avant ou après le débarquement.
Leur statut social ou professionnel explique ce choix.
Ainsi, parmi ce groupe, on compte
11 « personnalités » de la ville de Reims, arrêtées le 15 juin 1944. Il s’agit du
maire, de 4 de ses adjoints, du secrétaire en chef de la sous-préfecture, du
procureur de la République, du président du Tribunal de Commerce, du
contrôleur des Contributions, du directeur des Compagnies réunies du gaz et
de l’électricité et d’un autre entrepreneur local.
Il est donc intéressant de noter qu’à l’arrivée, lors de l’immatriculation, les
Allemands opèrent une distinction entre différentes catégories de déportés. En
effet, les matricules 39294 à 39332 sont attribués dans l’ordre alphabétique à 39
« personnalités-otages », dénommées Prominenten par les Allemands. Ensuite,
les matricules 39333 à 39573 sont donnés, toujours dans l’ordre alphabétique, à
la catégorie des « Nacht und Nebel ». Enfin, les numéros 39574 à 40944 sont
attribués au reste du groupe, sans autre distinction et sans ordre alphabétique.
Or, si le groupe des « personnalités-otages », comme on l’a vu, peut être
distingué des autres en fonction du contexte particulier de leurs arrestations ;
en revanche, celui-ci ne permet pas d’opérer la même distinction entre les « NN »
et les non « NN » de ce transport. Plusieurs interrogations se posent donc quant
au sens donné à cette époque à cette catégorie. Durant l’été 1944, la procédure
« Nacht und Nebel », telle qu’elle aurait dû être appliquée, en est à son épilogue ;
elle sera abandonnée quelques semaines plus tard. De plus, cette mesure
répressive avait été initialement créée et appliquée par le haut-commandement
militaire allemand. Or, ce sont les services de la Gestapo qui gèrent la déportation
vers les camps de concentration. Dans quel but ceux-ci ont-ils donc utilisé les
lettres « NN » pour une partie des déportés de ce transport? Il est difficile d’apporter
une réponse à cette interrogation car, après leur arrivée, aucun régime, ou
parcours spécifique, ne les distingue des autres détenus.
Après la période de quarantaine au KL Neuengamme, les déportés
connaissent deux types de parcours au sein du système concentrationnaire
nazi. Si les « personnalités-otages » restent au camp dans un block spécial
et sont évacuées en cars, avec ceux arrivés le 18 juillet, vers Theresienstadt
puis Brezani ; les autres, en grande majorité, ne restent pas au camp central et
sont transférés dans de nombreux Kommandos de travail.
Le 4 août, un groupe de 450 déportés, parmi lesquels au moins
110 Français de ce transport, quitte le KL Neuengamme pour le Kommando
de Watenstedt. Dans les semaines qui suivent, plusieurs transferts sont organisés
vers d’autres Kommandos : au moins 400 déportés de ce transport sont
envoyés à Osterort ; au moins 110 à Bremen-Farge ; plus de 120 à Kaltenkirchen,
une cinquantaine à Blumenthal et environ 45 à Brunswick
(Braunschweig).
De nombreux décès sont enregistrés dans ces Kommandos de travail ; et
près de 20 % d’entre eux ont lieu avant la fin de l’année 1944. Les conditions
d’évacuation des camps, au moment de la débâcle allemande, expliquent
également le taux de mortalité particulièrement élevé de ce transport. Ainsi,
au moins 111 se retrouvent embarqués les 2 et 3 mai 1945, en baie de Lübeck,
sur trois bateaux, le Cap Arcona, le Thielbeck et l’Athen, qui sont bombardés
par l’aviation britannique les prenant pour des transports militaires ; 64 décès
sont alors à déplorer. Près d’une centaine des déportés de ce transport
décèdent en Allemagne, en mai-juin 1945, alors qu’ils avaient été libérés par
les troupes alliées. Au total, plus de 40 % des décès sont enregistrés à partir du
mois d’avril 1945.
Thomas Fontaine, Gérard Fournier, Guillaume Quesnée
~~~~~~
Ces pages sont extraites du
:
LIVRE-MEMORIAL
des déportés de France
arrêtés par mesure de répression
et dans certains cas par mesure de persécution
1940-1945
Fondation pour la Mémoire de la Déportation
© copyright 2004 - Editions Tirésias