Noël cultive ses mystères. Insondables, même pour les plus grands enfants.
Robert et Andrée Mercé, 94 et 91 ans, ont reçu jeudi midi (le jour de Noël) un présent qu'ils n'avaient pas sollicité.
Quelqu'un s'en était chargé pour eux. « Je l'ai demandé pour beaucoup de camarades, jamais pour moi. Je pensais que c'était un ami, ancien commandant de police. Quand je lui en ai parlé au téléphone, il a bien rigolé, mais il m'a dit que ce n'était pas lui », confie l'alerte nonagénaire.
Ce cadeau-là, sans requérant identifié, n'est pourtant pas tombé du ciel. Il récompense deux vies entières : le couple biarrot a été décoré de la Légion d'honneur, pour son action durant la seconde guerre mondiale et l'implication dans la vie associative locale.
Louis Marti, 92 ans, « ami » de lutte, lui-même distingué, s'est fait le messager du président de la République à la maison de retraite « Notre Maison » de Biarritz, où Andrée réside depuis un AVC il y a deux ans.
Issu d'une famille biarrote, Robert Mercé a moins de 20 ans quand éclate le conflit. Fin 1942, alors qu'il travaille à l'hôtel Carlton, il refuse de figurer sur une liste de l'inspection du travail, préfigurant le service du travail obligatoire en Allemagne. Et décide de fuir vers l'Espagne, en franchissant la frontière par Urepel, à pied.
L'« évadé de France », ainsi que seront appelés les résistants de sa catégorie, est cueilli par les Espagnols à Irun et envoyé en camp à Miranda de Ebro, dans la province de Burgos. Les conditions de vie y sont très difficiles : six douches et un point d'eau pour plusieurs milliers personnes. Libéré en juin 1943, après six mois d'internement, il parvient à rejoindre Madrid, puis le Maroc. Il retrouvera son compagnon Louis Marti pendant le trajet.
À Casablanca, souffrant de dysenterie - il pèse 41 kg pour 1,81 m - il est contraint d'être hospitalisé durant 51 jours. Remis sur pied mais encore faible, il échappe à la réforme et, à défaut de pouvoir passer en Angleterre, se voit admis dans une école des transmissions de l'armée de l'air en Afrique du Nord.
Au cours de l'année 1944, il prend la direction de la Tunisie, où il incorpore le groupe anglais de la Wing 287, puis un autre bataillon britannique. Quelques semaines plus tard, il participe au débarquement de Provence, via Marseille. « Cet hiver a été épouvantable, il y avait un mètre de neige », se remémore-il avec un certain effroi. Sa guerre s'achève à la frontière autrichienne, après la remontée vers Strasbourg avec la section aérienne d'appui rapproché.
Une poignée de mois en arrière, celle qui deviendra son épouse s'apprête à s'engager dans la Croix-Rouge. Originaire d'Orthez, Andrée Mercé officie comme infirmière à la pouponnière de Biarritz. Jusqu'en novembre 1944, date à laquelle, en trichant sur son âge, elle intègre l'organisation humanitaire à Bordeaux. Elle y est affectée au bataillon étranger du commandant Chodzko, composé de Marocains et d'Espagnols.
Le 14 avril 1945, à la suite des bombardements à la pointe de Grave, poche de résistance allemande, elle porte secours aux blessés en première ligne. Après la reddition des Allemands le 8 mai, elle rejoint à Rochefort les Auxiliaire féminine de l'armée de terre (Afat) puis en Touraine. Elle rentre à Biarritz quelques semaines plus tard. C'est là, en septembre 1945, qu'elle rencontre Robert. À l'hôtel Continental. Il y accompagne un ami biarrot traumatisé de guerre, elle panse les plaies du conflit. Ensemble, ils aménageront dans la maison familiale biarrote de Robert, quartier Lahouze.
Catholique, le couple s'investissera toute sa vie dans de nombreuses associations de cette obédience : Prisac Adour (visiteurs de prison), l'hospitalité basco-béarnaise, l'Union des aveugles du Sud Ouest, Amitié espérance. Il contribuera à la création d'Emmaüs Espérance à Saint-Martin de Seignanx en 1970.
Robert et Andrée auront cinq enfants, qui ont poursuivi la lignée depuis. Une bonne partie les entourait jeudi, lors d'une célébration volontairement intimiste. L'une des petites-filles a rappelé le parcours de ses grands-parents, avant que les deux arrière-petits-enfants n'apportent les décorations à Louis Marti. Un moment de communion intergénérationnel émouvant. Un Noël que ne devrait pas oublier de sitôt la famille Mercé.
Pierre Mailharin - Sud Ouest
Quand Andrée Mercée s’engageait dans la Croix-Rouge en 1944, Robert débarquait en Provence. Le couple a reçu la Légion des mains de son ami Louis Marti © Photo dr et j.-d. c.